Preneur de son, Professeur HDR, essayiste.

Voici assemblés pour vous, chère lectrice et cher lecteur quelques moments, bribes de mémoire, captations d’instants de partage, vestiges de ces rencontres et participations à diverses manifestations. Ils sont un peu trop sérieux ces écrits j’en conviens, mais je n’ai jamais su faire autrement que de passer par le sérieux, car j’avais cru ce que l’on m’avait conseillé de faire.

Je n’ai pas su de ma vie faire autre chose que ce qui me plaisait. Je tentais à toute force de garder le sérieux même dans mes incapacités. Je n’étais jamais parvenu à supporter de faire autre chose que ce que je bricolais chaque jour. Même en me forçant — ranger des casiers de bouteilles d’eau minérale, cueillir des poires ou des groseilles, tenter de jouer sérieusement de la guitare ou de la trompette, être cheminot, finir mes études de bactériologie — je n’y parvenais jamais.

J’essayais de lutter chaque jour contre ce que l’on qualifiait chez d’autres de fainéantise, que je ne reconnaissais pourtant pas en moi tant j’étais actif. Je suis bien étonné que tout ça ait tenu et que ça tienne encore aujourd’hui, dois-je avouer d’y prendre du plaisir.

Partager des écrits qui sont venus avec un peu de temps au bout de ma plume, poussés par diverses commandes — autant d’occasions qui m’ont été offertes, voilà également l’objet de ce site.

Ces écrits ne sont pas venu en préparant mes cours, car je n’ai jamais préparé un cours de ma vie ; c’est seulement arrivé par la volonté de deux acolytes, Jean-Pierre Han et Robert Cantarella, qui après avoir monté la maison d’édition Entre/vues, m’ont demandé de mettre par écrit les mots que j’adressais à des stagiaires et qui semblaient, à leur dire, être digne de publication.

Bonne lecture et bonne écoute

Et merci de vous être arrêté ici !

LE SON :

un geste pris dans une relation.

G« Geste » réfère ici au mouvement du corps, celui qui exprime une manière de faire. Au son, curieusement, la question du geste n’apparait guère ; elle demeure sous-jacente, elle en est pourtant le fondement. Chaque geste porté sur un objet produit un son. Hors des sons de l’industrie et ceux de la nature, tout son inclut, en sa matière même, la nature du geste qui l’origine. Expression et matérialité du son ont partie liée avec le corps qui l’engendre. Le son émerge comme l’épanouissement d’un geste.

D’ordinaire, le son est considéré relativement à l’objet dont il provient : c’est un bruit de porte, de marteau ou de pas. Nos sonothèques (bibliothèques de bruits) sont répertoriées sous des noms d’objets. Si chaque son porte en lui un geste, un mouvement qui l’a initié, peu d’indications définissent pourtant sa qualité. Or c’est la nature du geste qui définit le son, c’est elle qui est signifiante : douceur, maladresse, violence, hâte, hésitation, etc. Parler de « causalité » ne définit pas ou trop peu ce mouvement transmis à l’objet : « bruit de chaise » dit seulement qu’une chaise a produit un bruit. Ce qui définit sonorement l’objet chaise est la « nature » du geste qui l’a induit. Cette « nature » est ici liée à la relation qui transparait derrière ce geste. Une relation entre des personnes est en jeu dans ce mouvement. L’autre n’est peut-être pas directement là, mais la précipitation qui fait pousser ainsi la chaise, ou bien l’effondrement du corps sur celle-ci, en dit plus qu’un simple « bruit de chaise ». Ce que l’on entend à travers ce son c’est la nature d’une relation dans laquelle la chaise n’est qu’un objet transitionnel. L’objet entendu peut même n’avoir aucune importance, il aurait pu être tout autre. À ce moment ce n’est donc pas d’une chaise dont il est question, la chaise est ici un simple objet que l’on peut avoir sous la main au moment de la crise de nerf. Le verre ou l’assiette auraient pu avoir la même fonction et, dans ce cas, c’est bien le geste qui compte. C’est ce que nous prouve la séance de bruitage cinématographique : elle révèle chaque fois à nos yeux ébahis qu’un être nous fait entendre, au moyen d’un objet qui n’est pas le bon, un son qui est parfaitement juste en regard de la situation à laquelle il réfère. Ce son si juste est sonore de quoi d’autre que d’un geste puisque ce n’est pas le bon objet qui est utilisé par le bruiteur ? Il y a, associé à cette justesse sonore, un acte qui nous dit ce qu’il en est d’une relation, de son adresse à quelqu’un, par l’entremise d’un objet. C’est bien dans le cadre d’une relation à un autre, ou au monde, que je l’effectue et c’est à ce titre qu’il signifie.

Le son n’est pas tant important en tant qu’objet que comme témoin d’une relation au contexte social dans lequel l’action a lieu. Il y a dans le geste un sens qui est exprimé à l’instar d’une parole dont le son est lui-même un équivalent.

Tout évènement sonore issu d’un geste est interprétable dans ses nuances, comme peut l’être la formulation d’un mot ou d’une phrase, verbale ou musicale. Un mot est formulé en un son et c’est la manière dont il est prononcé qui en produit tout le sens. Considérer le geste c’est déplacer la représentation que l’on a des sons, d’un « rôle » d’objet, « d’objet au neutre » qui leur est attribué, à une existence considérée dans des modalités relationnelles. Ce qu’il faut directement en déduire, c’est que la question sonore artistique n’appartient pas tant aux gens du son (preneurs ou régisseurs) qu’aux êtres qui agissent ou à ceux qui mettent en œuvre ces actions sonores. Ce sont donc le plus souvent les metteurs en scène, mais aussi les acteurs eux-mêmes, les musiciens ou les chefs d’orchestres, etc., tous ceux qui, sur une scène ou ailleurs, organisent ou entretiennent le jeu des affects entre des individus. Conséquemment, le sonore appelle à organiser la mise en scène de son récit non linéaire pris dans le jeu des pulsions. Ces catégories toujours dissociées (musicales, verbales, corporelles) appartiennent toutes à une même communauté : celle de l’interprétation.